Le dalaï-lama et des scientifiques, médecin ou chercheurs, ont dialogué hier toute une journée à l’Université de Strasbourg. Une première qui a permis de montrer leurs approches radicalement différentes des neurosciences, et le chemin qui reste à parcourir en Occident pour comprendre les interactions entre santé, esprit et méditation.
Quatre tables rondes ont réuni hier des chercheurs en neurosciences et le dalaï-lama, à l’Institut de science et d’ingénierie supramoléculaires (Isis) de Strasbourg. Une première pour l’Université de Strasbourg qui a préparé cette rencontre depuis plusieurs mois. Au programme, la méditation de la pleine conscience et son influence sur la santé mentale et physique, sur la douleur chronique et la dépression, mais aussi l’empathie et la compassion et comment la science peut appréhender la conscience.
Parler la même langue ?
Dès le début, un constat s’impose : l’obstacle de la langue et de la sémantique. Comme l’a relevé le dalaï-lama, « il est difficile d’adapter la terminologie de l’anglais ou du français à la langue indienne ou tibétaine. Votre vocabulaire est très développé sur les concepts et les technologies. Le sanskrit est une langue, même si elle est quasiment morte, qui décrit le mieux les différents états de conscience parfois très subtils. Le tibétain qui est très proche du sanskrit a permis de développer de nouveaux termes. C’est la meilleure langue pour décrire aujourd’hui ces différents états. Il vous reste à apprendre le tibétain ! »
L’autre difficulté est la vision occidentale de la méditation de pleine conscience. Pour le chef spirituel des Tibétains, il s’agit là du niveau le plus bas, de la porte d’entrée dans l’immense espace de la méditation. Les études visant à montrer son efficacité pour combattre la douleur ou la dépression, ou encore pour adoucir le vieillissement, le laissent d’ailleurs perplexe. D’abord parce que selon lui, le lien entre douleur (physique) et souffrance (morale) n’est pas forcément évident. L’une peut exister sans l’autre et vice versa. D’autre part, pour lui, diminuer la douleur physique ne suffit pas : « Il faut aussi aller plus loin, dans un contrôle des émotions négatives, en changeant de point de vue. Sinon l’émotion va dominer la pensée. »
Il considère aussi que la première cause de la dépression, notamment chez le sujet âgé, « c’est la vision matérialiste de notre société » , trop axée sur la jeunesse. « Les personnes âgées se sentent inutiles et seules. En Inde, dans les familles, il y a souvent quatre générations qui cohabitent. »
Des scientifiques transformés
Le scientifique et moine bouddhiste Matthieu Ricard revient lui aussi sur cette question. « La méditation de pleine conscience pratiquée dans les hôpitaux ne représente que 5 % de la pleine conscience. Mais c’est normal, on ne peut pas faire un truc plus sophistiqué avec des gens très différents. Et si le dialogue est un peu difficile aujourd’hui, c’est parce qu’il n’y a pas eu de travail en amont avec les scientifiques. » Il évoque ainsi ces rencontres de cinq jours avec le dalaï-lama, organisées avec sept ou huit scientifiques, autour d’un thème comme la neuroplasticité ou les addictions. « Là, on a le temps d’en faire le tour. Et les scientifiques en ressortent transformés. »
De fait, les thèmes de l’empathie et de la compassion comme celui de la conscience ont été abordés avec des chercheurs ayant participé à ces rencontres d’une semaine et pour certains, maîtrisant le tibétain. Comme une métaphore des différents niveaux de conscience atteints lorsqu’on s’astreint à une pratique régulière et exigeante de la méditation, la conversation avec le dalaï-lama a gagné en profondeur.
C’est le cas avec les travaux de la Franco-Allemande Tania Singer, qui travaille au Max Planck Institute à Leipzig et qui a montré que l’empathie et la compassion ne passent pas par les mêmes réseaux neuronaux dans le cerveau. « Dans le premier cas , explique-t-elle, la personne empathique résonne en écho à la souffrance ou à la joie de l’autre. Elle éprouve l’émotion de l’autre. En revanche, dans la compassion, on éprouve de l’émotion pour l’autre ». L’empathie, quand elle déborde, peut conduire à des sentiments négatifs. « La compassion conduit à des sentiments positifs. Et a plus d’impact sur l’altruisme. »
« C’est exact, souligne le dalaï-lama. Car la compassion authentique est liée à la sagesse, au discernement. Quand on voit quelqu’un qui souffre, on voit aussi qu’il y a une cause à cette souffrance et qu’il y a un moyen de surmonter cette cause. »
Une expérience de la mort par la méditation
Enfin, s’est posée la question insondable de comprendre comment un organe de matière comme le cerveau peut produire une pensée, une conscience. Pour le dalaï-lama, la conscience n’est pas mesurable ni quantifiable comme l’est la matière. « La voie matérielle pour analyser l’esprit n’est pas la bonne, selon moi , explique-t-il. Rien n’indique que la conscience est matérielle. C’est pour cela qu’à mon sens, il faut adopter une approche empirique comme la méditation : prendre conscience de sa propre conscience. Rester dans le moment immédiat et se concentrer sur l’expression immédiate de sa conscience. Et au fur et à mesure de cette pratique, tout devient plus clair. Il y a différents niveaux de conscience et en prenant conscience de ces canaux d’énergie subtils, le cerveau se dissout et se termine par une vision, une image rougeâtre qui devient noire. Les cinq sens se retirent alors que votre conscience est aiguë, focalisée uniquement sur le mental. C’est similaire au phénomène de la mort, où tout s’éteint doucement. Il serait intéressant de comparer par imagerie ce processus de méditation et celui de la mort. »