Dinh Hy Trinh, médecin à la retraite et membre de l’institut bouddhique Trúc Lâm, nous explique que deux fonctions neuropsychiques majeures interagiraient dans le processus méditatif : le vagabondage mental et l’attention.
En quoi consiste le vagabondage mental ?
Dinh Hy Trinh : Il s’agit d’un état psychologique qui apparaît spontanément quand on n’a pas de tâche précise à effectuer. Par exemple : quand on regarde le paysage ou le ciel par la fenêtre, et que l’on rêvasse. Le vagabondage mental (en anglais mind-wandering) se produit donc quand l’esprit s’évade et qu’il passe de pensées focalisées sur un but donné et présent à des pensées imaginaires sur le passé ou le futur. Les scientifiques ont créé un acronyme pour désigner cet état : REST (qui signifie aussi « repos » en anglais) pour random episodic silent thinking (« pensée aléatoire épisodique silencieuse »). Cette activité non perceptible par un observateur extérieur occupe une partie importante de notre vie mentale, évaluée entre un tiers et la moitié de notre temps éveillé.
Est-ce positif ou négatif ?
Dinh Hy Trinh : Le vagabondage mental a des aspects positifs et négatifs. C’est positif, car c’est pendant ces moments de voyage intérieur que l’esprit imagine, crée, associe des idées ou élabore des projets, et qu’il revisite le passé pour améliorer le futur. Il y a également des aspects négatifs. Sur le plan cognitif par exemple, le vagabondage mental diminue nos capacités à effectuer une tâche du fait de la baisse de l’attention requise. C’est aussi un frein et une gêne à l’apprentissage. Sur le plan affectif, il a été démontré qu’un esprit vagabond n’est pas un esprit heureux. Dans un tiers des cas seulement, des souvenirs heureux reviennent ; le reste du temps, ce sont des pensées neutres ou stressantes qui envahissent l’esprit. Quand ce penchant prédomine, les personnes ont tendance à vagabonder vers les mêmes souvenirs tristes et à utiliser les mêmes circuits cérébraux. Cette rumination mentale, constituée d’idées obsessionnelles liées aux souvenirs sombres du passé, est souvent chargée en émotions négatives. Elle se rencontre notamment dans la dépression chronique et favorise les rechutes. Autre cas, le stress post-traumatique : le souvenir du traumatisme psychologique revient dès que l’esprit se met à vagabonder, entraînant un changement de l’humeur.
Que se passe-t-il dans notre cerveau selon que nous sommes dans un vagabondage mental ou que nous sommes attentifs ?
Dinh Hy Trinh : Le vagabondage mental correspond à l’activité d’un réseau de neurones appelé : réseau mode par défaut (en anglais default mode network ou DMN). Ce système a été découvert par hasard en 2001 par un neuroscientifique américain, Marcus Raichle, et son équipe. En mesurant l’activité d’un cerveau qui semblait au repos, ils ont mis en évidence l’existence de zones hyperactives qui consomment autant d’oxygène et d’énergie que lorsque l’individu est occupé à faire une tâche sensorielle, motrice ou intellectuelle précise. Ils ont aussi démontré que ce réseau était le support d’une autre fonction appelée le traitement autoréférentiel, ou plus simplement la « conscience de soi », la « réflexion sur soi » ou encore la « préoccupation de soi ». Soit ce que les Anglo-Saxons nomment theory of mind, qui exprime la capacité de s’imaginer à la place des autres. L’attention est une autre fonction importante du cerveau. Elle est liée à l’activité d’un autre réseau de neurones, le réseau de tâche positive (TPN). À l’état de veille, le cerveau est sollicité par une grande quantité d’informations et reçoit nombre de stimuli extérieurs et intérieurs. C’est l’attention qui, à un moment donné, choisit l’une des informations reçues en fonction de l’un de ces trois critères saillants : la menace, le plaisir et la nouveauté. Parmi les fonctions de l’attention, on distingue l’orientation de l’attention, le maintien de l’attention et le déplacement de l’attention.
Quelle est la relation entre le vagabondage mental et l’attention?
Dinh Hy Trinh : Il existe un antagonisme entre ces deux états mentaux. Quand l’un apparaît, l’autre disparaît et vice-versa. Lorsqu’une personne effectue une tâche précise et que son esprit vagabonde, son attention chute et elle devient moins performante dans la tâche en cours. Juste une seconde d’inattention, de déconcentration, et c’est la perte d’un match, un spectacle raté ou un accident plus ou moins grave… Inversement, l’orientation et le maintien de l’attention sur une tâche précise font disparaître le vagabondage mental. Sur le plan neurologique, cet antagonisme a été démontré par les relations d’activité inverses de ces deux réseaux neuronaux, le DMN et le TPN, mesurées par l’IRM fonctionnelle.
Quel est le mécanisme d’action de la méditation sur ces deux états mentaux ?
Dinh Hy Trinh : La clé de la méditation, on le sait maintenant, tient en un mot : attention. La « juste attention » ou « pleine conscience » fait partie de l’octuple sentier enseigné par le Bouddha. La définition de la pleine conscience par Jon Kabat-Zinn, le père de la méthode MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction), est un « état de conscience qui résulte du fait de porter son attention, intentionnellement, au moment présent, sans juger l’expérience qui se déroule instant après instant ». Grâce aux neurosciences, on comprend bien maintenant le mécanisme d’action de la pleine conscience. L’attention qui est portée par exemple à la respiration, à des bruits ou à ce qui se passe dans le mental, active TPN et désactive le DMN, donc le vagabondage mental. La pleine conscience agit de fait en jouant sur l’antagonisme entre l’attention et le vagabondage mental. Cela a été démontré par l’imagerie médicale chez les méditants, quel que soit le type de méditation utilisé dans l’expérience menée. La pleine conscience permet ainsi de générer des émotions positives comme la sérénité, la paix, la joie, tout en réduisant, voire en effaçant, la « préoccupation de soi » qui fait partie du vagabondage mental.