La méditation est l’objet de nombreuses idées reçues. Pouvez-vous d’abord nous rappeler ce que méditer veut dire ?
Frédéric Rosenfeld : Un sage vous répondrait qu’il suffit d’essayer pour comprendre, que la méditation ne s’explique pas avec des mots. Dans mon livre, n’étant pas un sage, il m’a fallu tout un chapitre ! Pour résumer, méditer n’est pas une simple rêverie : c’est d’abord une action. Il est nécessaire d’apprendre certaines postures – comme la position du lotus, issue du yoga, par exemple –, ou des mouvements précis – comme les « formes » du tai-chi.
C’est une expérience impliquant des sensations et des perceptions, mais aussi un voyage intérieur qui réveille la mémoire corporelle et amène à connaître sur soi des choses que l’on ignorait. Seulement voilà : en pratiquant un peu, on découvre que toute connaissance débouche sur plus de mystère. La méditation devient alors l’expérience de ce mystère, touchant à la poésie, voire au silence…
Vous parlez de postures et de mouvements. Ne médite-t-on pas toujours en restant immobile, assis en position du lotus ?
Pas forcément ! Sans parler du yoga ou de certaines prières, aux gestes bien codifiés, les méditations zen, tibétaine ou vipassana ne sont pas toujours statiques. On y apprend la marche méditative, par exemple. Quant au tai-chi ou au qi gong, tout en mouvements, ils sont qualifiés de « pratiques méditatives » dans toutes les publications scientifiques. Et le terme pourrait s’appliquer à nombre d’arts martiaux, pourvu que l’on s’y exerce avec la bonne posture mentale. Car c’est là l’essentiel. Jon Kabat-Zinn, l’homme qui a introduit la méditation dans la médecine occidentale et auteur d’Où tu vas, tu es. Apprendre à méditer pour se libérer du stress et des tensions profondes (J’ai lu, “Aventure secrète”, 2005).– en l’intégrant dès 1979 dans un programme de réduction du stress –, appelle cette posture mentale la « pleine conscience » (mindfulness).
C’est la capacité à considérer tout ce qui vient à la conscience – sensation, émotion, pensée – en étant à la fois complètement présent et détaché, en acceptant tout sans agrippement, avidité ni aversion. Tout vient et passe, comme les nuages dans le ciel. On est dans une posture d’observation et de tolérance vis-à-vis de l’impermanence des choses. Avec cette posture mentale – et un peu d’entraînement –, la méditation se prête à presque toutes les activités. Comme disent certains sages, on peut méditer en épluchant les légumes !
Méditer, dit votre livre, « c’est se soigner ». Quelles maladies la méditation soigne-t-elle ?
Il faut être clair : aucune pratique méditative ne prétend être, en soi, une thérapie. La guérison vient « de surcroît ». Il n’y a pas d’indications thérapeutiques officielles. Cependant, depuis une trentaine d’années, de multiples études scientifiquement irréprochables, menées dans des laboratoires occidentaux ou asiatiques, ont trouvé des vertus tout à fait concrètes à la méditation.
La mindfulness based stress reduction (MBSR, « réduction du stress basée sur la pleine conscience » en français), de Jon Kabat-Zinn, dont je parlais précédemment, a montré son efficacité contre le stress ou l’agoraphobie avec crises de panique. La mindfulness based cognitive therapy (MBCT, ou « thérapie cognitive basée sur la pleine conscience »), qui s’en inspire, diminue de moitié le risque de rechute dépressive. Et les effets ne sont pas uniquement psychologiques : ce même programme MBSR – mélange de yoga, de zen et de méditation vipassana – augmente également le taux d’anticorps dans le sang. Les preuves de bienfaits physiques ne cessent de s’accumuler, allant de la guérison des rhumatismes aux troubles respiratoires, digestifs, neurologiques ou même immunitaires, et couvrant globalement toutes les pathologies du stress.
Comment cela s’explique-t-il médicalement ?
Par la façon dont la méditation agit sur notre corps et sur notre esprit. Si elle s’avère conseillée contre les maladies liées au stress, c’est parce qu’elle agit au cœur de notre cerveau le plus ancestral, le système nerveux autonome – celui qui marche tout seul et régit la vie végétative, tous ces automatismes que nous ne contrôlons pas. Plus précisément, méditer mobilise le système autonome parasympathique, source du calme, à l’opposé du système sympathique, qui est responsable du stress. Le cœur ralentit, la tension artérielle baisse, la transpiration diminue, la salivation augmente, la digestion s’opère. Les effets de cette activation parasympathique sont considérables, notamment sur le système immunitaire.
Les méditants en constatent empiriquement les bienfaits : moins de rhumes, de grippes, d’eczémas. Mais on a aussi démontré, plus scientifiquement, l’efficacité du yoga sur l’asthme par exemple, ou encore du qi gong contre certaines réactions allergiques, inflammatoires et auto-immunes. Evidemment, nombre de ces bienfaits viennent de l’aspect relaxant que toute méditation comporte. Mais la méditation leur ajoute un plus.
Cette « pleine conscience » dont vous parliez ?
Oui. Certains parlent même de spiritualité, chacun pouvant, selon ses convictions, entendre ce terme dans un sens religieux ou laïc. Le cardiologue américain Herbert Benson, qui fut l’un des premiers chercheurs occidentaux, au cours des années 1960, à faire passer des tests à des yogis et à des méditants, remarquait qu’ils se sentaient plus proches les uns des autres que des pratiquants de la relaxation. Ils connaissaient moins souvent des états de tristesse.
Les croyants avouaient se sentir plus en communion avec leur Dieu, les non-croyants parlaient quant à eux d’un sentiment de lien avec la nature et avec l’univers, mais tous soulignaient l’importance nouvelle qu’ils accordaient aux petites choses de la vie. Plus récemment, en observant au scanner le cerveau de méditants chevronnés, le professeur Richard Davidson, de l’université du Wisconsin, aux Etats-Unis, a trouvé qu’ils sollicitaient majoritairement leur cerveau gauche, dont il avait démontré par ailleurs le lien avec les émotions positives.
Voilà pourquoi les méditants bouddhistes sont si souriants ?
Les moines bouddhistes ne sont pas calmes et joyeux de naissance. Leur pacifisme et leur optimisme résultent d’un entraînement mental, dont les neurosciences apportent la preuve. Méditer « muscle » le cerveau gauche – pour le plus grand bien des émotions mais aussi du système parasympathique et donc, comme on l’a vu, de la santé. Mais il faut bien comprendre que la guérison des symptômes n’est pas le but premier, même si le taoïsme a largement inspiré la médecine chinoise et le yoga, la médecine indienne traditionnelle. Le but premier est la sagesse.
Même les applications les plus médicales et occidentales, comme la MBSR ou la MBCT, ne prétendent pas directement « guérir ». Elles visent d’abord à diminuer les crispations mentales, l’irritabilité ou la morosité que causent les symptômes dus au stress ou à la dépression. Mais si vous entrez dans ces pratiques avec cette attitude, alors oui, les symptômes physiques peuvent céder, et votre santé s’améliorer. A mon avis, les scientifiques n’ont pas fini de découvrir des bienfaits aux pratiques méditatives. Quand ils auront étudié toutes les techniques qu’elles proposent, et leurs effets différents, peut-être parviendront-ils à prescrire une méditation spécifique pour chaque cas.
Vous méditez vous-même. A quoi cela vous sert-il dans votre pratique de psychiatre ?
Méditer a considérablement fait évoluer ma démarche, la rendant plus ouverte, plus attentive au discours des patients, plus créative. Il n’y a pas de contradiction entre méditation et psychiatrie. Par exemple, l’exercice méditatif du balayage corporel (bodyscan), quand on passe en revue l’extérieur et l’intérieur du corps, peut déclencher des mémoires corporelles qui font remonter à la conscience les souvenirs de traumatismes. Si vous conservez un esprit neutre et égal, sans passion, en acceptant ces souvenirs comme le reste, vous arrivez à éteindre ces mémoires.
Les thérapies cognitives disent exactement la même chose : nous sommes conditionnés par notre passé et, si nous déshabituons nos circuits cérébraux, nous pouvons en mettre d’autres à la place.
Méditer est-il conseillé à tout le monde ?
Non, et il faut le souligner. Physiquement, cela peut s’accompagner de douleurs, qui s’estompent avec le temps. Les enseignants de pratiques actives, comme le tai-chi ou le qi gong, demandent parfois un certificat médical, mais c’est plutôt pour se protéger. Evidemment, le bon sens joue : un cardiaque évitera un yoga énergique. D’où l’intérêt de suivre les conseils d’un enseignant. Psychologiquement, il faut être plus prudent.
Chez certaines personnalités fragiles, la méditation peut déclencher des bouffées anxieuses, des décompensations, l’impression de ne plus exister, de ne plus savoir où sont le haut et le bas. Elle est à éviter en cas de crise dépressive ou existentielle : deuil, divorce, chômage… La sensation de vacuité que l’on connaît parfois ne convient pas à tous. Certains, enfin, peuvent s’accrocher à la méditation comme à une drogue, parce qu’elle leur procure des états comparables. Ou méditer pour évacuer leurs problèmes : « Mon chef me harcèle, je vais méditer et ça va passer, je n’y penserai plus. » Alors que la méditation vise, au contraire, à se libérer l’esprit pour aborder les problèmes d’un œil neuf, trouver des solutions, et se rapprocher des autres.
PETIT EXERCICE PRATIQUE
à l’usage des urbains stressés
Les conseils de Frédéric Rosenfeld pour nous initier à la méditation dans notre environnement quotidien.
Il vaut mieux commencer par pratiquer au calme, dans un lieu de méditation ou dans votre salon, à un moment où vous n’êtes pas trop stressé. Vous pouvez cependant vous entraîner à créer le calme en vous n’importe où. En essayant de vous concentrer, par exemple, sur votre souffle et sur la sensation physique qui l’accompagne : l’air dans
vos narines, votre poitrine qui se gonfle puis se dégonfle, votre ventre qui suit le mouvement. Relâchez vos muscles – sans vous avachir ! Relâchez aussi votre esprit. Si ça ne marche pas, pas grave, ça marchera la prochaine fois.
– Dans le métro, le bus, le train, avec du bruit tout autour, si vous parvenez à vous concentrer sur votre respiration, vous allez engendrer du calme dans votre esprit. Comment ? Par effet de compétition : plus vous vous concentrez sur votre respiration, moins votre esprit est attiré par autre chose, mieux vous pouvez vous concentrer… et le calme s’ensuit.
– Dans votre voiture, même si votre cerveau veille à la conduite, vos sensations et vos perceptions sont complètement émoussées. La méditation va vous inciter à prendre conscience des vibrations du moteur à travers le volant, de votre respiration, de l’air qui caresse votre visage si la fenêtre est ouverte, du champ visuel qui défile à côté de vous.
– Au bureau, vous pouvez vous relaxer un instant puis prendre conscience de la lumière, de la couleur des murs, de la fraîcheur de l’air, du dossier du fauteuil appuyant entre telle et telle vertèbre… Vous intégrez, par vos sens et votre pensée, le moment présent, avec ce qu’il a de simple et de riche, et à côté duquel vous avez tendance à passer dans votre vie de tous les jours.
A LIRE :
Ce livre de Frédéric Rosenfeld, psychiatre à Lyon, adepte de la méditation vipassana d’origine indo-birmane, il pratique aussi la méditation zen et le tai-chi, est le résultat d’une longue enquête. Il passe les différentes pratiques méditatives au crible de la science, les explorant sous tous les angles – médical, psychologique ou philosophique. Vous y trouverez même l’adresse d’un centre proche de chez vous !